Quand ils se présentent, certains couples ne font plus couple qu’en apparence, car l’un des deux est déjà au bout de la route, voire sur une autre route…
Ils sont souvent épuisés. Ils ont livré toutes leurs forces dans la bataille, répétant inlassablement des tentatives de solutions infructueuses.
Lassés, découragés, blessés, perdus… Ils arrivent abîmés sans plus avoir la force et l’énergie à investir dans la remise en question et la réflexion que demande la thérapie de couple.
Le temps donc de clarifier les positions de l’un et l’autre, leurs souhaits, leurs difficultés, et ils s’en vont organiser plus ou moins activement leur séparation.
Au diable l’idée qu’il faille rester ensemble envers et contre tout.
Ceci dit, vous reconnaîtrez que rares sont les individus qui s’engagent dans l’idéal encore très prégnant dans notre société de partager une vie à deux (monogame le plus souvent), éventuellement de fonder une famille et de rencontrer par cette voie un certain bonheur, rares sont ceux qui entament ce chemin en se disant : « Ce n’est pas grave si ça ne fonctionne pas ».
Alors pourquoi les couples sont-ils frileux à l’idée de demander de l’aide ?
Ma réflexion n’a pas pour ambition de dresser une liste exhaustive des facteurs qui rentrent en ligne de compte, mais plutôt de souligner certains aspects dans lesquels tout un chacun peut, peut-être, se retrouver.
D’une part, les couples sont parfois réticents à l’idée de faire entrer quelqu’un dans l’intimité de leur quotidien.
Habités de l’idée qu’ils sont trop jeunes pour se dire que ça ne va pas,
ou qu’il y a trop longtemps que ça ne va pas,
ou qu’ils ont tout essayé et que rien ne sert à rien,
ou encore qu’ils peuvent ou doivent s’en sortir seuls,
les partenaires s’isolent derrière les murs de leur logement.
Certains minimisent l’ampleur de la mésentente. Ils ont l’impression qu’il ne manque pas grand-chose pour que ça aille mieux ; Il suffirait que l’autre fasse ceci, arrête de faire cela ou comprenne, enfin ! qu’il doit changer.
Aaaaah… L’autre !
C’est bien souvent l’une des causes principales qui retarde l’arrivée des couples en consultation. En effet, dans un couple, on a souvent l’occasion rêvée d’avoir un responsable à ses malheurs sous la main… c’est l’autre !
Les partenaires en crise ne sont pas avares de certitudes au sujet de leur conjoint. Ils tirent des conclusions, et taillent le portrait de l’autre avec une lame parfois très aiguisée par l’exigence, les blessures passées ou les problèmes de communication. Les rôles attribués à chacun par l’autre sont réducteurs et cristallisent une relation qu’ils ne parviennent plus à remettre en mouvement. Enlisés dans leurs certitudes au sujet de leur partenaire, dépassés par l’ampleur de la déception, de l’agressivité ou de la tristesse… Ils restent seuls… ensemble.
L’image toute simple d’une famille en panne de voiture me vient à l’esprit .
Les deux sortent pour intervenir sur la panne (au mieux !). Chacun fait son possible, mais de tentatives de solutions en tentatives de solutions, à force de pousser à tel endroit, de tirer à un autre, de rajouter de l’huile, de resserrer ceci ou cela, rien ne va mieux…
Plus personne ne sait où il en est et chacun attribue l’inefficacité des solutions à l’autre…
Plus personne ne s’écoute réellement.
Chacun râle estimant même parfois qu’il n’a rien à expliquer parce que l’autre devrait avoir compris !
Énervé, le premier va peut-être se rasseoir à l’intérieur laissant le second se dépatouiller ! Ou encore, énervé, l’un intime à l’autre d’aller s’asseoir à l’intérieur pour réfléchir ! (C’est très courant cette expression « Réfléchis donc un peu !). Chacun se sent disqualifié dans ses capacités à mener à bien la manœuvre.
Les enfants, attachés sur la banquette arrière, assistent impuissants à la joute que leurs parents se livrent.
Les parents, centrés sur leurs problèmes, ne voient pas que le temps passe et, inlassablement, les saisons se succèdent.
Souvent, ils ne pensent pas au professionnel qui existe et qui peut les éclairer, les aider à s’écouter, à se comprendre.
Pire, ils rechignent à devoir « payer quelqu’un pour ça ! », pour une panne qu’ils pourraient réparer sans trop de problème si seulement l’autre voulait bien faire un effort ! … (Dieu sait ce que les garagistes coûtent cher et comme il est parfois difficile de leur faire confiance :-D).
Bien sûr, à partir du moment où l’un claque le capot de la voiture sur les mains de l’autre, à partir du moment où les clés à molette volent et que la boite à outils sert de projectile pour blesser, dominer, voire supprimer l’autre, il n’y a plus lieu d’essayer de se dire et de communiquer…
Dans la nuance donc, j’ai une certaine admiration pour l’énergie que les êtres humains peuvent mettre à sauver leur relation de couple.
Avant que ce ne soit l’énergie du désespoir, il y a eu tant de patience, tant de compromis, tant de difficultés et de déceptions à encaisser. Les personnes se battent souvent pour ne pas voir leur vie s’effondrer comme un château de cartes.
C’est aussi pour cela qu’ils ne font pas la démarche aisément. Venir étaler ses difficultés, parfois les plus intimes, devant un inconnu, c’est aussi prendre le risque de faire bouger les lignes… Alors faire bouger les lignes, c’est d’accord, mais dans quel sens ?
Sans certitude sur l’aboutissement de la réflexion et de l’échange thérapeutique, ils préfèrent parfois s’accrocher à leur voiture qui crachote des fumées toxiques. Ils se refusent à demander de l’aide de peur de faire le constat que l’un s’accroche désespérément au véhicule immobilisé sur la bande d’arrêt d’urgence alors que l’autre est près à le laisser.
A moins que le constat soit inverse… « Si je prends conscience que la voiture peut encore rouler, je devrais peut-être rester dedans encore un moment, or je n’y suis plus bien, la direction qu’elle prend ne me convient plus… ».
Et oui ! Il ne suffit pas que la voiture roule, encore faut-il se mettre d’accord sur la direction qu’elle prend (et même sur qui va la conduire, quand et comment ! Tout un programme).
J’ai souvent envie de leur dire : « Mesdames et Messieurs, n’ayez pas peur. On a plusieurs vies dans une vie.
Aucun thérapeute de couple n’a le pouvoir de prendre des décisions à votre place.
Aucun thérapeute de couple n’a à juger vos décisions. Prenez soin de votre confort relationnel, car c’est cela aussi le quotidien. Donnez-vous les moyens d’acquérir un regard différent sur votre situation quand vous avez le sentiment de tourner en rond. Tentez, de travailler au respect de la singularité et de l’altérité de chacun, pour traiter avec bienveillance l’histoire d’amour passée ou présente, la famille construite, les amis partagés ».
Ce n’est pas toujours facile, c’est vrai. Dans la vie, on fait davantage ce qu’on peut que ce que l’on veut…
Mais faire ce que l’on peut, c’est déjà merveilleux.
Isabelle Stuckens – janvier 2023